samedi 9 février 2013

"A widow's story" Joyce Carol Oates




Le titre français ne dit rien de ce livre, « J’ai réussi à rester en vie »… Serait-ce l’histoire d’un homme coincé dans une crevasse pendant 40 jours ?
Non.

Ce livre est le récit des semaines qui ont suivi la mort du mari de JCO, Ray Smith. L’hébétude, la sidération, la colère. La solitude. Le renoncement.
Immédiatement ce livre m'a fait penser à celui de Joan Didion 
« L’année de la pensée magique » que j’avais adoré. Adoré parce qu’il résume bien la première année qui suit le deuil. Je ne déménage pas, s’il revenait ?  Je ne jette pas ses pulls, s’il revenait ? Si je regarde par cette fenêtre après avoir compté jusqu’à 7, je le vois… il y a un an exactement …… 
Le redire, l’écrire, c’est le revivre.
 Puis l’année passe.

 Dans le récit de JCO – car ce n’est pas un roman-  le mot qui revient sans cesse est « veuve ». C’est son identité. Endossée malgré elle, mais assumée, revendiquée. C’est ainsi que JCO se désigne, ce qui lui permet de parler d’elle à la troisième personne. Ainsi, elle se voit, amaigrie, terriblement angoissée et perdue, affolée, sur un parking, alors que le fond de son sac de papier déverse ses courses sur le bitume pendant qu’elle cherche ses clefs de voiture. Ou seule, dans sa grande maison aux nombreuses pièces condamnées, échevelée, insomniaque,ignorée par ses chats pleins de ressentiments.

Or, peu de temps après en avoir achevé la lecture, j’ai appris que JCO s’était remariée 11 mois exactement après le décès de son premier mari. Ma première réaction a été de me sentir flouée. Quoi ? remariée ? Mais je viens de lire qu’elle était anéantie, détruite, absente à elle-même…et elle se remarie?
 Et puis très vite je me suis dit : pourquoi ? Pourquoi penser que son remariage amoindrit sa peine ? Pourquoi croire que parce qu’elle n’a pas passé l’année magique, la première année entière dans son veuvage, elle en est moins « méritante » et son livre moins intéressant ? Et la question taraudante : quelle est la frontière entre récit et roman ? Qu’est-ce qu’un récit, écrit par une romancière ? Pourquoi penser qu’elle doive TOUT écrire, pourquoi ce sentiment de perte d’authenticité ? Quoi qu’il en soit cela m’a fait réfléchir …
JCO nous donne quelques réponses, au fil de son récit, lorsqu’elle parle de son métier d’écrivain :
«(…) je me dis que les plasticiens doivent être bien plus heureux que nous écrivains -les écrivains et les poètes-  qui avons avec le monde des rapports purement verbaux, linéaires - par le biais du langage nous implorons des gens qui nous sont inconnus, non seulement de lire ce que nous avons écrit, mais de l’assimiler, d’être émus, de sentir (…) »
et plus loin avec son humour grinçant: 


« Etre écrivain, c’est ressembler à un de ces chiens à pedigree dangereusement hypertypés –un bouledogue français, par exemple-, assez mal équipés pour la survie en dépit de leurs attributs très particuliers. »
Elle cite aussi Hémingway : « A partir d’événements qui se sont produits, de tout ce que vous savez et de tout ce que vous ne pouvez pas savoir, vous inventez quelque chose qui n’est pas une représentation mais quelque chose d’entièrement neuf, plus vrai que n’importe quoi de vrai et de vivant, et vous le faites vivre, si vous vous y prenez assez bien, vous lui donnez l’immortalité. C’est pour cela qu’on écrit et pour rien d’autre. »
La frontière est ténue, mais récit ou roman, c'est un livre qui m'a bouleversée et c'est bien ce qu'on demande, non, dans ce monde aseptisé, être bouleversé? 

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