vendredi 21 avril 2017

Le patin, vous aimez?

La petite patineuse en jupette et collant chair n'a que 4 ans, chaussée de ses bottines en chevreau blanc elle virevolte, saute et minaude comme sa mère le lui a appris, même si son diadème de princesse penche un peu d'un côté, et que son sourire fendille le gloss cerise... les flashs crépitent, les juges applaudissent, les pervers planqués derrière leurs caméras rôdent, à l'aise comme des anguilles dans un bras de mer...
Le drame s'invite dès les premières pages.
 "LES FAMILLES DYSFONCTIONNELLES SE RESSEMBLENT toutes." écrit
Skyler Rampike, le frère de Bliss.
La traductrice précise que "Rampike" suggère "un arbre mort pour avoir été frappé par la foudre"...D'une certaine façon la famille foudroyée ne se relèvera pas de ce drame. Skyler,devenu junkie assommé par les médocs, se détruit de pensions en lycées privés, Betsey la mère, s'abîme dans les shows télévisés de bas étage, Bix, le père, s'alcoolise en continuant de séduire/consommer(!) toutes les femmes qu'il croise...
Dans ce roman de Joyce Caroll Oates, les notes de bas de pages, les insertions, les juxtapositions d'adjectifs multiples foisonnent pour préciser les faits, les sensations, les interrogations en quête de vérité. 
Car est-ce vraiment le pédophile arrêté -puis incarcéré et qui avouera son crime- qui a tué Bliss alias Edna-Louise?
Un extrait? Skyler tente de se rendre en voiture jusqu'à une banlieue où habite sa mère:

"...Et englué soudain dans un encombrement se mouvant avec le péristaltisme paresseux d'un colon obstrué il n'avançait plus qu'à 10 kilomètres à l'heure. Au-dessus de lui un ciel asphyxié par des nuages-tumeurs distendus/décolorés. Un amas de cumulus lourds de pluie, de nuages-étrons en panache de bombe H. Comment était-il possible que Skyler qui tenait tant à arriver à Spring Hollow, eût raté le pont Georges Washington? Comment était-il possible de "rater" un ouvrage aussi monumental/magistral que le pont Georges Washington?"
Est-ce Skyler qui parle? Est-ce Bliss? Est-ce Joyce? La romancière se rappelle à notre souvenir:
"Skyler ne sait pas tout ce que savent ses cellules grises ; et vous qui êtes les lecteurs de Skyler, ne pouvez savoir que ce que Skyler choisit de vous dire. Bien que je sois vraisemblablement "l'auteur"...je ne sais moi aussi que ce que Skyler peut me dire."

Oates nous balade, nous perd, nous retrouve, à sa guise, elle sème un doute, elle souligne une imprécision, redonne la parole à Skyler qui lui-même...


mercredi 19 avril 2017

A tout berzingue!

Lire Vernon Subutex c'est rouler sur l'autoroute en voiture de course après avoir fumer du crack et pris 3 rails de coke, une bouteille de JandB à la main....ou à peu près. C'est du lourd. 
La dame en a sous le pied! 
Vernon est un ancien disquaire qui a perdu sa boutique, son logement, et se retrouve à la rue, après avoir écumé les apparts de ses amis.
C'est une langue qui décape, c'est de la lessive StMarc passée au tampon Jex, la brosse métallique et tout le tintouin... Restent des fulgurances, des formules bien Despentiennes, ou Despentesques tiens!

vendredi 30 octobre 2015

Si c'est un homme, Primo LEVI

Ce livre n'est pas un livre récent. 

Ce n'est pas un livre Goncourable. 

Ce n'est pas seulement un livre.

C'est un livre essentiel.

 

Plus qu'un témoignage, il est admirablement écrit:

 

« Nous avons lutté de toutes nos forces pour empêcher l'hiver de venir. Nous nous sommes agrippés à toutes les heures tièdes ; à chaque crépuscule nous avons cherché à retenir encore un peu le soleil dans le ciel, mais tout a été inutile. Hier soir, le soleil s'est irrévocablement couché dans un enchevêtrement de brouillard sale, de cheminées d'usines et de fils ; et ce matin c'est l'hiver. »


Dans sa préface, Primo Levi précise :


« Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n'ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l'inquiétante question des camps d'extermination. Je ne l'ai pas écrit dans le but d'avancer de nouveaux chefs d'accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine. »


Je ne peux pas parler de ce livre, il faut le lire c'est tout.

Il faut le lire et c'est une nécessité parce que nous vivons des temps oublieux...

...les migrants actuels, peuples d'infortunes lancés dans des voyages improbables, voués à l'exil, les tentes boueuses de Calais, les enfants échevelés, assoiffés et hagards dans les bras de leurs parents marcheurs ...nous les voyons.

Tout de même cette phrase de Primo Levi écrite en 1947 :

« On s'accorde en effet à reconnaître qu'un pays est d'autant plus évolué que les lois qui empêchent le misérable d'être trop misérable et le puissant trop puissant y sont plus sages et plus efficaces. »

Comme nous en sommes loin !


Et puis ce poème :


Si c'est un homme


Vous qui vivez en toute quiétude

Bien au chaud dans vos maisons,

Vous qui trouvez le soir en rentrant

La table mise et des visages amis,

Considérez si c'est un homme

Que celui qui peine dans la boue,

Qui ne connaît pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain,

Qui meurt pour un oui pour un non.

Considérez si c'est une femme

Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu'à la force de se souvenir,

Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.

N'oubliez pas que cela fut,

Non, ne l'oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre coeur.

Penses-y chez vous, dans la rue,

En vous couchant, en vous levant ;

Répétez-le à vos enfants.

Ou que votre maison s'écroule,

Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.

Primo LEVI, 1947...il y a 68 ans.


jeudi 20 août 2015

la petite amoureuse, un pêcheur de flétan et Vermeer...



Voici un livre de nouvelles néerlandaises écrites dans les années 90 par l'auteur des "Porteurs de glace" roman que j'avais beaucoup aimé lire. 
Ecrivaine et psychanalyste, Anna Enquist vit près d'Amsterdam.

"Où le seigneur se lave les mains" : Un mystérieux organisateur d'after entraîne chez lui, à la fin d'une conférence, une écrivaine amateur de Vermeer. Ils sont à Delft, ville du peintre. Au milieu de la nuit il veut lui montrer un secret  incroyable, jamais dévoilé. L'auteur décrit avec précision ce que ressent la femme au moment où l'homme le lui propose:
"Tout comme on prend un enfant au sérieux, un enfant qui rentre de l'école en courant, essoufflé, bégayant presque, pour vous montrer une chose qui a pour lui un intérêt vital-on reconnaît son sentiment, on épouse son idée qu'il s'agit d'une affaire sérieuse, on se lève aussitôt et on se laisse tirer par la main chaude, impatiente. On ressent peut-être une légère curiosité, on ressent aussi un léger agacement parce que cette urgence vous sort de vos réflexions, de votre lecture; on en hausserait presque les épaules, on voudrait dire quelque chose pour relativiser mais on se retient à cause du fanatisme de l'enfant? On ne veut pas le blesser, mais on a déjà hâte du moment où on va pouvoir se rasseoir, allumer une cigarette, reprendre son livre.Son enthousiasme vous touche mais l'objet de son ardeur n'atteindra pas votre monde. C'est ce que vous croyez."
Elle le suit. L'homme lui dévoile un tableau qu'il a découvert coincé entre deux murs de sa demeure, une toile du maître, Vermeer.
Et le tableau l'engloutit tout entière...
Petit bijou de nouvelle qui nous renvoie à la Jeune Fille à la Perle (Tracy Chevalier) mais aussi au Chardonneret(Donna Tartt).
"La traversée": Trois hommes, dont Jacob, partent sur la glace pêcher le flet à la cognée. Mais sur leur radeau de glace, ils dérivent...
"Le football grec" Sur une île en construction, l'instituteur, philhellène, récemment arrivé organise un match de football qui le conduira à sa perte.
"Faim" : Hanna a 14 ans, elle est amoureuse de Jaak, footballeur amateur. La petite adolescente songe, échaffaude, fantasme, se fait des scenarii. Un dimanche elle le suit dans les vestiaires mais la réalité est très loin de ressembler à ses rêves.

Des nouvelles qui font la part belle aux dérèglements des situations familiales, au basculement dans la folie, au désenchantement, à la perte...

mardi 18 août 2015

Echenoz

"14"
Pas de pathos, pas de dialogues, pas le temps de s'attacher aux personnages, la guerre fait son carnage, Echenoz est sur le fil.
Parfois, la trame du documentaire affleure: les 35kgs du barda, les escouades-compagnies-régiment-d'infanterie, les brigades et matricules, la couleur des pantalons, les reflets des casques et des gamelles...

                                                           photo de Roland Allard

Mais l'écriture...

L'écriture élégante d'Echenoz, sa façon sèche et détournée d'aller à l'essentiel.
Les premières pages sont grandioses: décrire le tocsin qui sonne le début de la guerre avec pour seul repère la vision des cloches qui oblitèrent en cadence les fenêtres des beffrois...bien avant que ne parvienne le bruit, "le son grave, menaçant, lourd" par-delà les champs...
L'image avant le son. Quelle beauté!
Les dernières lignes sont le point d'orgue de ce roman: à cause de la guerre, dans la guerre, après la guerre, les hommes sont détruits et dé-saisis de toute émotion, de tout sentiment humain. Alors ils "s'accouplent" et "ensemencent", "un enfant mâle" naît. Pas un garçon, pas un bébé, un mâle(qui ira faire la guerre suivante?)

Si Bernard Minier (article précédent) scande les meurtres de son roman avec des airs d'opéras, ici Echenoz l'évacue en quelques lignes:
"Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant.Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non  plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles , comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent à la longue, c'est assez ennuyeux."
Subtil Echenoz qui nous laisse en plan avec tout ça, pour élaborer seuls, notre réflexion. Et nous refermons ce livre avec effroi, mais l'air songeur...

lundi 17 août 2015

Complètement allumé!

"N'éteins pas la lumière" de Bernard Minier
Revoilà Servaz! Bien amoché après la mort de Marianne, il récupère dans une maison de repos.
Christine, animatrice radio à Toulouse, voit sa vie tourner au cauchemar : quelqu'un lui en veut, pénètre dans son appartement, s'en prend à son chien... Tout son entourage est soupçonnable: son futur mari, son ex amant, sa stagiaire, celle de Gérald, sa voisine...
Minier nous mène par le bout du nez: on ne voit pas comment Servaz va pouvoir entrer en jeu avant la page 300 et quelques, chaque nouveau personnage est potentiellement l'odieux manipulateur à l'origine de tout ce désastre.
Manipulation, perversité, harcèlement, opéras, exploration spatiale, cowboys de l'espace: voici les ingrédients de ce polar que vous traverserez- comme tous ceux de cet auteur- le souffle court. Rien ne vous sera épargné. Attention : il est complètement allumé!

jeudi 16 juillet 2015

La Maison-Guerre

Marie Sizun après avoir été professeur de français,  a écrit et  publié plusieurs romans...J'aime les écrivains qui le deviennent sur le tard....Ca laisse de l'espoir! 

Au début de ma lecture j'ai cru que cette histoire était autobiographique. La narratrice se souvient qu'étant petite fille elle fut amenée par sa mère dans une grande maison bourgeoise où vivaient un couple et une amie célibataire, tous trois âgés. Ainsi elle égrène ses souvenirs en restituant l'atmosphère si particulière des années 40, mais vécue du point de vue de l'enfant.
La mère de la petite vient de façon épisodique lui rendre visite et apporte toujours avec elle  fraîcheur,insouciance et amour. Et puis un jour elle ne vient plus. La petite fille perçoit autour d'elle des bruissements, des mots échappés, des chuchotements... Et ce qui m'a beaucoup émue c'est la manière dont elle va percevoir qu'elle est différente, qu'elle doit être protégée pour cette différence alors même qu'elle ne la connait pas. Cette description des sentiments de l'enfant est particulièrement bien écrite, toute en finesse et en suggestions. 
Les personnages ne sont pas monolithiques, ils ont plusieurs facettes comme ce monsieur qui accueille une enfant juive mais laisse échapper des propos antisémites...
Un livre intrigant, où les non-dits s'estompent peu à peu pour laisser place à une situation singulière que cependant de nombreux enfants ont dû vivre pendant la deuxième guerre mondiale.