jeudi 16 juillet 2015

La Maison-Guerre

Marie Sizun après avoir été professeur de français,  a écrit et  publié plusieurs romans...J'aime les écrivains qui le deviennent sur le tard....Ca laisse de l'espoir! 

Au début de ma lecture j'ai cru que cette histoire était autobiographique. La narratrice se souvient qu'étant petite fille elle fut amenée par sa mère dans une grande maison bourgeoise où vivaient un couple et une amie célibataire, tous trois âgés. Ainsi elle égrène ses souvenirs en restituant l'atmosphère si particulière des années 40, mais vécue du point de vue de l'enfant.
La mère de la petite vient de façon épisodique lui rendre visite et apporte toujours avec elle  fraîcheur,insouciance et amour. Et puis un jour elle ne vient plus. La petite fille perçoit autour d'elle des bruissements, des mots échappés, des chuchotements... Et ce qui m'a beaucoup émue c'est la manière dont elle va percevoir qu'elle est différente, qu'elle doit être protégée pour cette différence alors même qu'elle ne la connait pas. Cette description des sentiments de l'enfant est particulièrement bien écrite, toute en finesse et en suggestions. 
Les personnages ne sont pas monolithiques, ils ont plusieurs facettes comme ce monsieur qui accueille une enfant juive mais laisse échapper des propos antisémites...
Un livre intrigant, où les non-dits s'estompent peu à peu pour laisser place à une situation singulière que cependant de nombreux enfants ont dû vivre pendant la deuxième guerre mondiale.

mercredi 15 juillet 2015

Cadres noirs

Alain Delambre, 57 ans,ex DRH  d'une importante entreprise, voit sa vie s'effilocher et se distendre au gré du chômage, lorsqu'un jour une annonce : BLC-consulting recherche un cadre qui testerait la résistance et l'implication d'autres cadres lors d'une fausse prise d'otages dans leur entreprise... Y aller? Ne pas y aller? Delambre ne se pose pas longtemps la question, d'autant que le matin même, il  s'est fait botté le cul-au sens propre!- par Mehmet son superviseur aux Messageries Pharmaceutiques où il a un petit boulot : trieur de cartons de médicaments.
"Attention Mehmet ne se prend pas pour le patron. C'est presque mieux : il l'incarne. Il "est" le patron dès que le patron n'est pas là."
 Alain Delambre envoie donc son CV, puis se rend à l'entretien lors duquel il est loin de briller mais contre toute attente: il est retenu pour le poste.
A partir de là, l'embrouille commence... Et ce ne sera qu'un enchaînement inextricable et  logique de déconvenues, de pétages de plombs, de castagnes...Et si finalement tout cela n'était pas le fruit d'un mécanisme aléatoire mais d'une machinerie diaboliquement menée par... Mais je vous laisse, vous allez déguster!
Pierre LEMAITRE, est l'auteur dans un tout autre style du formidable "Au revoir là-haut", Prix Goncourt 2013.

Des vieux annuaires et des bars

J'ai lu "Rue des boutiques obscures", "Une jeunesse", "Dans le café de la jeunesse perdue", "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier"...et voici "Accident nocturne" (2003). Patrick Modiano, il est difficile d'en parler, parce qu'il a fait l'objet de nombreuses études, articles savants etc...surtout depuis son prix Nobel.
Le mot qui me vient naturellement après l'avoir lu,  est sans doute "nostalgie" : elle affleure tout au long de ses romans, celle qui colle à la peau, qui le fait rechercher des noms dans de vieux annuaires Parisiens (je trouve ça tellement porteur de sens! tellement ingénieux!), situer toujours précisément les déambulations de ses héros dans les rues de Paris, les squares, les immeubles Haussmaniens, les cafés... Comme si cette précision quasi obsessionnelle apportait un sens supplémentaire à l'enquête de toute sa vie, bien qu'il ne s'agisse pas ici d'autofiction. Modiano c'est toute une ambiance, celle de l'enfance à jamais perdue, de sorte que l'écriture, avant d'être son salut, semble être le lieu d'une  véritable recherche de preuves, digne d'un polar des fifties. 
Dans "Accident nocturne", le narrateur se fait renverser par une conductrice Jacqueline Beausergent,avec laquelle il est hospitalisé à la clinique Mirabeau à moins que ce ne soit à l'Hôtel Dieu... Et qui est cet homme qui rôde près d'eux? 
L'abandon, l'héritage,la perte, le père, l'occupation, l'identité sont les thèmes récurrents de ce fabuleux auteur à la plume si gracile. 

femmes en déséquilibre





Toujours Joyce Carol Oates! Vallée de la mort est le titre d'une de ces  25 nouvelles regroupées en trois chapitres mais ce n'est pas la seule nouvelle que je retiendrai, tant chaque portrait de femmes, toutes en équilibre précaire, se détache avec force.
La mère de famille attaquée puis laissée nue et qui rampera pour tenter d'atteindre sa maison, la vieille femme qui défend les cerfs contre les chasseurs, la jeune insomniaque qui traverse le pont bancal pour rejoindre sa grand-mère, la femme violentée chez elle par un abruti, les deux petites jumelles qui partent se promener à vélo et ne reviendront pas,  Leïla Lee son vieux mari et son beau-fils souffre-douleur, Darell et Trix ce couple d'anciens danseurs devenus alcooliques puis violents....
Toutes ces femmes malmenées, humiliées, apeurées ou violentes, revenchardes ou amnésiques sont au bord du gouffre. Elles réagissent chacune à leur manière, en quittant, en tuant, en oubliant, en cachant... 
Elles sont toutes attachantes, et restent dans la mémoire comme l'image sur la rétine après que la lumière s'est éteinte.