samedi 21 février 2015

Nous étions des filles ravagées


Bouleversante lettre de Marceline à son père jamais revenu des camps de déportation et d'extermination. 
Auschwitz-Birkenau.
Un trait d'union pour quelques kilomètres qui les séparent et toute l'horreur de la déshumanisation industrialisée. Marceline tatouée, rasée, dénudée, évaluée, revêtue de haillons, creusant des tranchées, cassant des pierres, triant les vêtements des morts.Elle a 15ans. Elle a 88ans. Elle reste fille de son père.Celui qui n'a pas survécu.



"Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas".
Alors elle se suspend à cette phrase, elle s'arc-boute contre la violence inouïe des bourreaux, et elle survit.
Une petite fille passe devant elle dans le camp :
« Derrière elle, probablement des mois de terreur et de traque. On venait de la séparer de ses parents, on allait bientôt lui arracher ses vêtements. Elle ressemblait déjà à sa poupée inerte. Je la regardais. Je savais ce qu'il y a de chahut et d'angoisse dans la tête d'une petite fille, de déterminé au creux de sa main serrant sa poupée, ce n'était pas si loin, j'allais moi, quelques années plus tôt avec une valise, un baigneur à l'intérieur, une boîte à mouches aussi. »
 
Au retour, personne n'est capable d'écouter, d'entendre la parole des rescapés. Le camp continue après le camp.
« Et nous ne pensions qu'à manger. Notre dos était encore là-bas sur les planches de la coya, notre estomac ici, nous étions démembrées, contradictoires. Nous étions des miracles. »
et plus loin : « J'étais devenue dure comme ces anciens déportés qui nous virent arriver à Birkenau sans un mot de réconfort. Survivre vous rend insupportables les larmes des autres. On pourrait s'y noyer. »
« Nous étions des filles ravagées ».
Soixante-dix années ont passé, le tatouage est resté, que pense Marceline aujourd'hui de cet acharnement contre les juifs, de cette persistance de l'antisémitisme après toute cette horreur des camps ? Que dirait-elle si on lui posait la même question que celle que son père lui posait dans la petite carriole vers Bollène : « Qu'est-ce que tu souhaites le plus au monde, Marceline ? »

Marceline LORIDAN-IVENS
« Et tu n'es pas revenu »

vendredi 20 février 2015

Aux Lofoten...


 




C'est un livre de femmes.
L'arrière grand-mère Sara Suzanne, la grand-mère Elida, la mère Hjørdis, la fille Herbjørg. 
Des femmes fortes, singulières, charnelles, qui aiment, qui rament (au sens propre) dans la tempête, qui cueillent des baies jaunes et enfantent.
C'est aussi une quête de souvenirs retricotés avec la laine humide qui sent la neige et le poisson des îles Lofoten. 
Là-bas au Nord de la Norvège. Depuis la fin de la guerre de Crimée, traversant l'occupation Nazie, les années d'après-guerre, et brièvement les années 1980. 
Un siècle donc.

Le point de départ se cache dans le retable de l'église des îles Lofoten, peint par le pasteur et peintre Fritz Jensen. Et ceci n'est pas le seul point de ressemblance possible avec « la jeune fille à la perle» de Tracy Chevalier. 

Mais tous les souvenirs ne se disent pas, un secret ne franchit ni les lèvres ni les lignes du petit cahier jaune enfoui sous une lame du plancher de la grange. Il se dissimule sous les italiques tentant de nommer l'innommable. Quoi qu'il en soit, ceci ne constitue pas le fil conducteur de l'histoire. 
La construction de ce roman est un incessant va et vient entre les époques, les familles, les villages du Nord et du Sud, Oslo du temps où elle s'appelait Kristiania, les îles et les eaux poissonneuses, les tourbières enneigées et les jours sans lumière aux confins de l'hiver. 
Ce va et vient temporel et géographique, tel le fil du métier à tisser, enchevêtre puis ordonne les générations, les souvenirs, les histoires, transmises ou non, et dessine ce qui constitue l'héritage d'une famille.
Quand vous aurez lu ce roman, vous reviendrez sans aucun doute au premier chapitre...
Je vous laisse lire...

« Cent ans »
Herbjørg Wassmo et du même auteur la trilogie de la ferme des Nashov...

Charlotte







Charlotte Salomon, peintre. 

Issue d'une longue lignée de suicidaires. 

Juive. 

Lauréate du concours des beaux-arts Berlinois, elle doit accepter qu'une jeune blonde aux yeux bleus reçoive le prix à sa place. 


Elle est amoureuse folle d'Alfred qui l'encourage à peindre. 
Rejetée, exclue, traquée par les nazis elle se résigne à fuir Berlin pour le Sud de la France où elle retrouve ses grands-parents. C'est là qu'elle terminera fiévreusement son œuvre:   «  Vie? ou Théâtre ? », dans l'urgence , sentant l'étau se resserrer. 
Peindre pour ne pas devenir folle, peindre pour ne pas succomber à l'atavisme familial, peindre pour se créer un monde...
Seule avec Alexander dans la grande propriété de l'Ermitage qu'Ottilie a quittée, ils s'aimeront et Charlotte sera enceinte. 

Dénoncés ils seront déportés.

charlotte salomon, 1D.Foenkinos sous le charme, obsédé, envouté,  va chercher les lieux de Charlotte : la mansarde, le cabinet du docteur Moridis, le parc de la propriété ... pour retrouver un peu de la disparue méconnue.
La vie de Charlotte est bouleversante et on comprend l'attachement de l'écrivain.
Son écriture faite de petites phrases pas plus grandes que la largeur de la page, est troublante. Il pose son souffle à chaque ligne, ce qui dessine comme une ode,une élégie,un poème sans vers, ...
Ce roman nous pousse vers l’œuvre de Charlotte Salomon, qu'elle a confiée à son médecin avec ces paroles : « C'est toute ma vie... »

David Foenkinos "Charlotte"