lundi 18 mars 2013

inspiration géographique, rencontre avec Bernard Minier



Hier matin, rue des livres, j’ai rencontré Bernard Minier, auteur de ce formidable thriller « Glacé ».


Un livre découvert au hasard d’une émission radio, dont le titre noté à la hâte sur mon calepin s’était modifié en « Givré » (lapsus sans doute dû au fait  que j’avais perçu dans la critique radiophonique , l’omniprésence d'un hôpital psychiatrique)… livre lu , -que dis-je- dévoré, car on ne peut le lâcher avant la dernière ligne, puis prêté, re-prêté, et qui continue actuellement sa vie de livre prêté….

Bernard Minier a répondu à mes questions avec beaucoup de gentillesse. Je n'avais ni calepin, ni enregistreur, je fais donc appel à ma mémoire pour retranscrire aussi fidèlement que possible cet échange.

Comment est né cet univers très particulier : la vallée, la colonie de vacances abandonnée, l’hôpital psychiatrique…

J’aime cette idée de  commencer mes livres par des cartes géographiques : situer les lieux imaginaires, un peu comme dans les livres d’enfants qui s’ouvrent sur une carte aux trésors...  Dans «  Glacé », il y a cette vallée qui existe effectivement!  Le centre de vacances, je l’ai découvert par hasard lors d’une promenade : des bâtiments vides dans un paysage de neige…Très inspirant ! La centrale électrique…Et puis j’ai rassemblé ces lieux, je les ai rapprochés sur une même carte, pour créer ce microcosme, comme une marmite sur laquelle on pose le couvercle. Et on attend. On voit ce qui se passe….

Vous l’avez porté en vous,longtemps ce roman ? Comment cela s’est-il décanté ?

Oui, cette histoire a mûri longtemps, plusieurs années. J’ai d’abord écrit les soixante premières pages. ..Quand on écrit une histoire, on y pense tout le temps... On prend sa douche, on y pense... On mange, on y pense....Vous savez j’écris depuis l’âge de dix ans, je n’ai jamais cessé d’écrire, un journal, de la philosophie, des romans... J’ai longtemps  participé à des concours de nouvelles .

Alors comment avez-vous décidé d’envoyer celui-ci à un éditeur ?


Une rencontre. Lors de ces concours de nouvelles, justement. Quelqu’un, un participant comme moi,  m’a encouragé à continuer l’histoire, à l’envoyer.

Pourquoi n’avez-vous pas souhaité , plus tôt, être publié ?

Je ne voulais pas ajouter des écrits qui me semblaient médiocres,  à ce qui était déjà publié. Il y a beaucoup de livres publiés, qui sont... Je ne veux pas me comparer à Kafka, loin de moi cette prétention, mais … Kafka ne voulait pas être publié, il voulait même que tout ses écrits soient brûlés.  C’est Max Brod qui, contrairement à ses dernières volontés, a fait en sorte qu’il soit publié.  Vous savez on pense toujours qu’on va réussir le livre parfait...Je n’étais sans doute pas satisfait.  J’ai des multitudes de cartons emplis de manuscrits que je ne retravaillerai plus parce que maintenant il est trop tard…Mais ce livre "Glacé", je l'ai envoyé par la poste à des éditeurs. Je ne connaissais personne dans l'édition. C'est la preuve qu'ils lisent ce qu'on leur envoie contrairement à ce qu'on dit!

Quels sont vos rituels d’écrivain, comment écrivez-vous, quand ?

Oh des rituels, non, des habitudes plutôt... J’écris tôt le matin. Je me lève. J’allume la cafetière et j’écris. Huit heures par jour, 7 jours sur 7. Il faut une certaine discipline. Je fais une pause déjeuner, puis je continue d’écrire jusqu’au milieu de l’après-midi. Certains écrivent le soir. Moi je ne peux pas. Je suis un écrivain du matin.

Quel est le livre qui vous a bouleversé, que vous avez particulièrement aimé ?

Maintenant je relis plus que je ne lis. Pour un livre lu j’en relis trois… J’ai relu dernièrement « Tokyo » de Mo Hayder pour lequel elle a reçu le Grand prix des lectrices de Elle 2006. Quand je l’ai lu la première fois, j’ai pris une claque. Parce qu’elle va très loin. Pas seulement dans l’histoire, mais dans l’écriture. C’est très écrit. Hé bien quand j’ai relu « Tokyo », j’ai repris la même claque que la première fois !

Oh merci Bernard Minier d’avoir si aimablement répondu à mes petites questions !  J’en avais d’autres bien-sûr… mais le temps passe si vite et les lecteurs arrivaient pour se faire dédicacer « le cercle » votre dernier livre.  

De retour à la maison, en cherchant du côté de Kafka  (les polars mènent à tout , y compris la philo !) j’ai trouvé cet extrait  issu d’une lettre destinée à son ami Oskar Pollak:
 « Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous ; voilà ce que je crois ».

Et quelques lignes plus haut il annonçait :
 « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » 


Franchement c’est tout le mal que je nous souhaite : recevoir des coups de poing sur le crâne et se faire hacher menus par nos lectures !


mercredi 6 mars 2013

A priori la peste n'est pas ma tasse de thé...


 

...le choléra non plus…


Les sciences, la recherche m’intriguent…mais ne me passionnent pas. 
A part la lecture des notices de médicaments paragraphe effets secondaires et celle du journal des étudiants en médecine, je ne lis rien qui s'apparente à la "science". 
Mais ce livre de Patrick Deville m’a emportée loin, loin, dans le temps  et dans l’espace.

Alexandre Yersin : chercheur, médecin de bord, explorateur, voyageur, constructeur, cultivateur d’hevea,de l’arbre à quinquina, maraîcher,observateur de marées, astronome, expérimentateur de xographe, découvreur du bacille de la peste…

Patrick Deville, en fantôme du futur, ne le perd pas de vue, il le suit, le précède, lit les lettres envoyées à sa mère puis à sa sœur, et nous livre ce somptueux roman.

« On déroule souvent l’histoire des sciences comme un boulevard qui mènerait droit de l’ignorance à la vérité mais c’est  faux. C’est un lacis de voies sans issue où la pensée se fourvoie et s’empêtre. »p.147
L’écriture est à la fois poétique, incisive et pleine d’humour :

« En vieil épidémiologiste, Yersin n’oublie pas que le pire est toujours le plus sûr.Vieillir est très dangereux. » p.72
Ce grand voyageur ne croisera pas la route de Raimbaud  mais le poète est évoqué à de multiples reprises. Le départ d’Arthur et celui d’Alexandre... La longévité de l’un dans sa maison carrée de Nha Trang, la brièveté de celle du vendeur d'armes rongé par la gangrène... On se prend à songer qu’ils se soient croisés…

« La vue est circulaire au-dessus de l’éblouissement continu de la beauté, les barques de pêche, qui le soir descendent la rivière et allument leur lamparos au bout des perches, gagnant le large. A l’aube le vent les ramène. On débarque sur la plage poissons, crevettes, près des nouveaux  sampans. Le parfum s fleurs et l’odeur de la terre après l’averse montent vers le bureau où Yersin dessine maintenant des maisons pour les vétérinaires et les laborantins, murs chaulés et boiseries peintes en vert clair, toiles de tuiles brunes et vérandas, dans le style de ces villas balnéaires normandes qu’il vit à Cabourg.[…] Assis à son bureau dans un fauteuil en rotin, devant les revues scientifiques, Yersin étudie la physique, la mécanique, l’électricité. »p.136
A Nha Trang a-t-il eu vent de cette femme Donnadieu  qui luttait contre le Pacifique pour replanter son riz ? A-t-il croisé le souffreteux Marcel à Cabourg ?...

La littérature ne semblait pas l’intéresser. Ni l’amour. L’amitié oui.
« Mais au bout du compte, qu’on ait ou pas le vaccin antipesteux, on sait bien qu’on ne trouvera jamais le vaccin contre la mort des amis et que tout cela est un peu vain. On pourrait croire à une réussite exemplaire. Mais peut-être pas. Les cloisons de sa raison depuis l’enfance sont étanches à la passion. Acier inoxydable. Jamais le cœur du réacteur ne franchira l’enceinte de confinement, sinon à la moindre fêlure ce serait la catastrophe, l’explosion, l’anéantissement, la dépression,  la mélancolie ou pire encore les foutaises de la littérature et de la peinture, alors les lubies scientifiques, la pression telle sur la soupape que la pensée à jet sporadique dans son mouvement rotatif projette à tout- va, invente dans tous les domaines. »

Ainsi Yersin ne rencontra ni Marguerite, ni Arthur, mais inventa une sorte  de poésie frénétique de la quête…