mardi 26 février 2013

Deux petits polars...ça fait pas de mal!

Le premier se passe au Québec, dans un petit village de carte postale, Three Pines : une forêt, des petites maisons craquantes, un parc, des chasseurs, une cabane d’affût, et le corps d’une enseignante à la retraite, perforé par une flèche introuvable. L’inspecteur Armand Gamache et ses adjoints enquêtent…
Les façades des maisons croquignolettes se lézardent, les voisins accueillants et charmants ôtent leurs masques, Gamache suit les pistes… 
Souvenirs et secrets inavouables se font jour...

Première phrase?
"Jane Neal se présenta devant Dieu dans la brume matinale du matin de Thanksgiving."
Dernière phrase ? 
"Mais elle n'était pas immobile non plus."
Tiens! Les deux phrases se répondent!!!! 
C’est publié chez Actes Sud, le récit de facture traditionnelle, nous emmène jusqu’au bout du livre sans faillir, avec beaucoup de charme, d’humour… et de suspens. 

Le deuxième est Suédois. Sa construction est un peu plus complexe puisque deux récits s’imbriquent successivement, celui du narrateur qui suit le commissaire  Sörjberg et qui  décrit la vie des victimes juste avant leur assassinat ; et celui de Thomas qui rédige son  "journal d’un assassin" :
  « Jamais, jamais je n’ai ressenti une telle euphorie, autant d’énergie et de joie de vivre.Je viens de commettre un meurtre. »
Dès le début nous apprenons que Thomas était le souffre- douleur de son école maternelle et que son instit a laissé faire -oh la vilaine!- Nous comprenons que sa personnalité quasi autistique s’est formée autour des sévices et agressions multiples dont il a été victime. Nous en déduisons : vengeance ! Un par un, les odieux gamins-bourreaux devenus grands (44 ans... c'est grand!)vont donc être décimés. Sauf que….
Est-ce bien là le coupable ?
Un livre prenant et étonnant.
Première phase ?
« Au sommet de la colline, parmi les pins, se dresse l’imposante bâtisse de bois. »
Dernière phrase ? Non ! Si ?:
« Il tend son visage vers le ciel, ferme les yeux et sent les flocons fondre sur sa peau. »

Dites donc, ces deux romans noirs ont un point commun ou je me trompe ?...
Plus d’un même !
Les trouverez-vous ?....


Truite ou cannabis


Apre,rude, brutal, splendide, majestueux. Comme la nature. Comme l'humain. Parfois.


Travis , 17 ans, découvre un champ de cannabis en allant pêcher la truite. A partir de là, sa vie bascule…

Il rencontrera Leonard, ex-prof reconverti en dealer, qui le prendra sous son aile et l'accueillera dans son vieux mobil-home lorsqu’il partira de chez lui, incompris par son père. Il croisera la route de Toomey et son fils Hubert, producteurs de marijuana et revendeurs de pilules, macs à leurs heures, crapules sans scrupules…
 C’est un monde d’hommes dont il est question, comme souvent dans les romans de Tony Hillerman et de Russel Bank... Et Ron Rash fait partie de cette littérature, celle qui embrase la nature sauvage, les grands espaces. Il y est question de pick-up, de winchesters, de pièges à ours, de pack de bières, de tabac…
Les femmes y sont impuissantes : Dena prend des râclées, se prostitue, avale des quaaludes par poignées ; Lori amoureuse de Travis, tente de se construire une vie rangée et de dicter sa bonne conduite. Deux figures de femme dont on peut regretter la pâleur...

Travis pêche et observe la nature dont la splendeur vient se confronter à la noirceur des hommes.
 « Il s’arrêta dans les eaux d’aval.  Dans les remous du plan d’eau des feuilles jaune et rouge tendaient une mince courtepointe à la surface du ruisseau. »  p129
Tout au long du roman,il imagine la truite trop petite qu’il a relâchée dans la rivière, et ainsi, parle de lui, adolescent naviguant en eau trouble et tentant de redresser le monde dans lequel il évolue.
« L’eau, un lieu sombre et calme devenant plus sombre et plus calme encore tandis qu’une coiffe de glace venait recouvrir le bassin, isolant la truite du reste du monde. Un lieu sombre et silencieux, Travis le savait, et la truite là-bas au fond, le métabolisme au ralenti, aussi proche de l’hibernation que pouvait l’être un poisson. » p145

Entre deux eaux,  entre deux mondes, entre deux époques : celle du massacre de Shelton Laurel lors de la guerre de Sécession qui ressurgit au travers d’un journal et d’une paire de lunettes.

 A la fin de l’hiver, l’homme qu’est devenu Travis, aura choisi sa vie.
« Travis imagina la truite mouchetée sous la glace, montant dans ses rêves gober à la surface des éphémères jaune vif, rêvant du printemps en attendant patiemment que passe l’hiver . » p145

Ce n’est pas vraiment un roman d’apprentissage : il ne se déroule que sur quelques mois, mais il y est tout de même question de la confrontation au monde, du choix, de l’influence du passé historique et familial.
Roman très bien écrit où la poésie affleure sans jamais ralentir le récit qui monte jusqu’à l’apogée finale que l’on présent violente.

lundi 25 février 2013

Les petites boîtes de verre



Je me suis demandé si je pouvais évoquer un film sur ce blog intitulé « dans mes livres… »
Mais je préfère le désordre à l’ordre. Ca met un peu de poésie dans ce monde ! Le désordre me permet de petites joies comme retrouver une carte postale dans une pile de livres, une paire de chaussettes égarée dans un panier, un foulard parmi les écharpes…Disons que ce film-là est l’écharpe. Une écharpe de soie. De soi.

Une scène: Jean-Louis Trintignant se rase dans la salle de bain. Comme se rasent les vieux messieurs, précautionneusement, au rasoir électrique. Sa femme, Emmanuelle Riva, alitée depuis des attaques cérébrales qui l’ont diminuée physiquement et mentalement crie « mal…mal… » Litanie implorante. JLT,  se précipite dans la chambre, lui demande où elle a mal. ER continue de moduler « mal…mal… » JLT prend doucement sa main valide dans les siennes et tout en la caressant très lentement,  commence à raconter une histoire qui lui est arrivée petit, lorsqu’il était parti en colonie, loin de sa mère.  
On se demande alors où a-t-elle si mal, pourquoi ne s’inquiète-t-il pas ? Pourquoi ne lui donne-t-il pas un analgésique ? … mais il continue, au-delà de la plainte lancinante… « mal…mal… » à raconter son histoire. Celle d’un petit garçon seul, que l’on force à manger le riz au lait et qui souffre de l’absence de sa mère. Avec elle, avant son départ,  il avait convenu d’un code : si tout se passait bien pour lui, il lui enverrait une carte couverte de fleurs, s’il allait mal, une carte emplie d’étoiles. Il envoie donc cette dernière. La mère arrive à la colonie. Mais entre temps le petit a été mis en quarantaine à l’hôpital pour cause de diphtérie. 
Au fil de cette histoire racontée par JLT, les plaintes se font plus douces , s’atténuent puis se taisent tout à fait.
Très doucement, et pardon pour ceux qui n’ont pas encore vu le film, il tire vers lui un oreiller et le plaque sur le visage apaisé de sa femme endormie.

Ainsi va le langage : un seul mot pour dire sa terreur, des paroles pour adoucir,  un code pour passer un message, une mère séparée de son fils par les épaisses vitres de la quarantaine...
Au-delà de tous les bruits qui alentour, brouillent nos échanges...  Cet emboîtement m’a bouleversée.

Certaines scènes au cinéma sont comme de jolies boîtes de verre encastrées les unes dans les autres. On perçoit mieux le petit scarabée inclus dans la dernière d’entre elles.

samedi 9 février 2013

"A widow's story" Joyce Carol Oates




Le titre français ne dit rien de ce livre, « J’ai réussi à rester en vie »… Serait-ce l’histoire d’un homme coincé dans une crevasse pendant 40 jours ?
Non.

Ce livre est le récit des semaines qui ont suivi la mort du mari de JCO, Ray Smith. L’hébétude, la sidération, la colère. La solitude. Le renoncement.
Immédiatement ce livre m'a fait penser à celui de Joan Didion 
« L’année de la pensée magique » que j’avais adoré. Adoré parce qu’il résume bien la première année qui suit le deuil. Je ne déménage pas, s’il revenait ?  Je ne jette pas ses pulls, s’il revenait ? Si je regarde par cette fenêtre après avoir compté jusqu’à 7, je le vois… il y a un an exactement …… 
Le redire, l’écrire, c’est le revivre.
 Puis l’année passe.

 Dans le récit de JCO – car ce n’est pas un roman-  le mot qui revient sans cesse est « veuve ». C’est son identité. Endossée malgré elle, mais assumée, revendiquée. C’est ainsi que JCO se désigne, ce qui lui permet de parler d’elle à la troisième personne. Ainsi, elle se voit, amaigrie, terriblement angoissée et perdue, affolée, sur un parking, alors que le fond de son sac de papier déverse ses courses sur le bitume pendant qu’elle cherche ses clefs de voiture. Ou seule, dans sa grande maison aux nombreuses pièces condamnées, échevelée, insomniaque,ignorée par ses chats pleins de ressentiments.

Or, peu de temps après en avoir achevé la lecture, j’ai appris que JCO s’était remariée 11 mois exactement après le décès de son premier mari. Ma première réaction a été de me sentir flouée. Quoi ? remariée ? Mais je viens de lire qu’elle était anéantie, détruite, absente à elle-même…et elle se remarie?
 Et puis très vite je me suis dit : pourquoi ? Pourquoi penser que son remariage amoindrit sa peine ? Pourquoi croire que parce qu’elle n’a pas passé l’année magique, la première année entière dans son veuvage, elle en est moins « méritante » et son livre moins intéressant ? Et la question taraudante : quelle est la frontière entre récit et roman ? Qu’est-ce qu’un récit, écrit par une romancière ? Pourquoi penser qu’elle doive TOUT écrire, pourquoi ce sentiment de perte d’authenticité ? Quoi qu’il en soit cela m’a fait réfléchir …
JCO nous donne quelques réponses, au fil de son récit, lorsqu’elle parle de son métier d’écrivain :
«(…) je me dis que les plasticiens doivent être bien plus heureux que nous écrivains -les écrivains et les poètes-  qui avons avec le monde des rapports purement verbaux, linéaires - par le biais du langage nous implorons des gens qui nous sont inconnus, non seulement de lire ce que nous avons écrit, mais de l’assimiler, d’être émus, de sentir (…) »
et plus loin avec son humour grinçant: 


« Etre écrivain, c’est ressembler à un de ces chiens à pedigree dangereusement hypertypés –un bouledogue français, par exemple-, assez mal équipés pour la survie en dépit de leurs attributs très particuliers. »
Elle cite aussi Hémingway : « A partir d’événements qui se sont produits, de tout ce que vous savez et de tout ce que vous ne pouvez pas savoir, vous inventez quelque chose qui n’est pas une représentation mais quelque chose d’entièrement neuf, plus vrai que n’importe quoi de vrai et de vivant, et vous le faites vivre, si vous vous y prenez assez bien, vous lui donnez l’immortalité. C’est pour cela qu’on écrit et pour rien d’autre. »
La frontière est ténue, mais récit ou roman, c'est un livre qui m'a bouleversée et c'est bien ce qu'on demande, non, dans ce monde aseptisé, être bouleversé? 

samedi 2 février 2013

l'oiseau de mauvaise augure

De Camilla Läckberg, j'ai lu "La princesse de glace"...
Puis "Le tailleur de pierre"...
Je viens de terminer "L'oiseau de mauvaise augure".

Comme chez Kristina Ohlsson, j'aime suivre des personnages au long cours... Ici c'est Erica et son futur mari d'inspecteur Patrick Hedström. Contrairement aux 2 précédents livres, Erica n'est pas un personnage central, ni essentiel à l'intrigue. On suit de loin en loin sa perte de kilos superflus suite à la naissance de sa fille. La perspective de leur mariage ponctue le roman avec ses divers préparatifs.(et ce n'est pas ce qu'il y a de mieux...On oubliera la cérémonie dégoulinante de bons sentiments!)

L'enquête se passe pour l'essentiel à Tnumshede où se déroule une émission de téléréalité avec son groupe de jeunes en mal de célébrité et d'amour, un concentré de misère humaine...
Meurtres déguisés en accidents de voiture,le corps d'une bimbo retrouvé dans un container à poubelles, et une vieille histoire d'enfants abandonnés par leur mère...L'intrigue est palpitante, je n'ai pas lâché le livre avant la fin. Même si un des procédés pour maintenir le suspens devient un peu répétitif: le personnage voit le contenu d'un message, d'une lettre etc et comprend que c'est un élément primordial pour résoudre l'enquête, alors que le lecteur n'en aura connaissance que plusieurs pages après... grrr...
Les personnages secondaires sont également très attachants,comme Mellberg, ce vieux commissaire qui pense trouver l'amour fou avec Rose-Marie.

La première phrase du roman?:
"Le soleil printanier inondait les fenêtres du commissariat de Tanumshede et révélait impitoyablement la crasse des carreaux."

La dernière? :
"Mais telle Pandore, elle était beaucoup trop curieuse pour pouvoir laisser le couvercle fermé. Il lui fallait chercher la vérité. Quelle qu'elle soit."

L'enquête se clôt par le début d'une autre... c'est ce qu'on appelle une série, non? Noire.