mardi 23 juillet 2013

"Comment j'ai appris à lire"


Comment résiste-t-on à l’apprentissage de la lecture ? Comment peut-on décoder, comprendre et intégrer le mécanisme de la lecture et même accéder au sens, sans lire pour autant ? Comment peut-on prendre la lecture comme lieu de résistance et d’opposition ?
C’est ce qu’Agnès Desarthe tente d’analyser pour elle-même : éclaircir cette  ombre qui occultait tous les livres de son enfance jusqu’à cette année d’hypokhâgne où une prof de philo va ouvrir une petite porte d’accès.

Evidemment ce livre fait particulièrement écho et je rejoins cette analyse: la résistance à la lecture est à l'oeuvre de bien des façons...Et l'approche analytique n'est pas le biais le moins intéressant loin de là! Apprendre à lire c'est grandir...lire c'est s'échapper...

Agnès Desarthe est écrivain et traductrice et c’est également par ce détour qu’elle nous convie à voir la lecture et l’écriture. Pour traduire un roman, il faut s’abstraire, se rendre vacant et cette vacuité nous fait accéder à l’écrit de l’autre. Agnès Desarthe évoque la traduction d’un roman de Virginia Woolf « La chambre de Jacob », concernant un passage où V.W. répétait quatre fois en trois lignes le mot « feuille ». Que faire de cette répétition ? Se plonger dans un dictionnaire de synonymes ? Interpréter? Parce qu'elle connait parfaitement le monde, l'imaginaire, l'état d'esprit, de V.W, elle produit un texte en français en laissant l'auteur initiale entrer dans sa langue maternelle et pénétrer ainsi sa propre écriture.
Ainsi, Agnès Desarthe cite Lily Briscoe, personnage de "La promenade au phare":
"Oui, songea-t-elle, reposant son pinceau, au comble de l'épuisement, j'ai eu ma vision."
Et A.D poursuit:
"Il est difficile de ne pas entendre la voix de Virginia Woolf derrière ce constat final: "J'ai eu ma vision.", c'est ce que l'écrivain-voyant qu'elle était se disait à chaque livre terminé, car elle procédait ainsi par révélations, par chocs visuels. J'ai donc décidé, afin de résoudre cette affaire de feuilles pléthoriques, d'oublier la phrase pour me tourner vers l'image, le tableau qui l'avait fait naître."
Quel joli lien avec Rimbaud!

Et pour lire, ne faut-il pas une certaine "vacance"?...accepter de se laisser entraîner dans un univers qui n'est pas le sien...se laisser happer...

Quant à l'écriture:
"Ecrire n'est pas un choix, c'est une nécessité, mais cela n'a jamais aidé personne à vivre, et surtout pas l'auteur lui-même."

Ouh... de quoi méditer!

lundi 22 juillet 2013

Nous sommes toutes des Apaches!

Bien que le titre évoque leur absence, ce n’est pas un roman sans hommes : il y a Boris, bien sûr, le mari qui trompe sa femme  avec «  Pause » -ainsi nommée par Mia, la femme trompée-, il y a Stefan le beau-frère suicidé secrètement amoureux, il y a Pete, le voisin violent au passé tourmenté, il y a Monsieur Personne, le correspondant inconnu… il y a même Freud,  Kierkegaard, Kant…et d’autres….
(dessin au trait de Suri HUSTVEDT )

Mais c’est un roman de femmes, c’est vrai ! Pour les femmes, c’est vrai aussi. Non pas que les hommes ne pourraient le lire, mais. 
(attention : deuxième degré! … sourire...)

Mia est abandonnée par son mari qui part avec son amoureuse après 30 ans de mariage.
Mia devient folle « psychose passagère », est internée (sic), hors d’elle (re  -sic) au propre comme au figuré. Quelques jours après,  revenant à elle, Mia part en location dans le village où sa vieille mère est pensionnaire de la maison de retraite. Elle va passer un été entre un groupe d’adolescentes qu’elle tente d’initier à l’écriture, un groupe de femmes âgées et néanmoins peu conventionnelles, une voisine fatiguée de sa vie de jeune mère…
Peu à peu elle reprend pied, et s’interroge (NOUS interroge) sur sa vie, la nôtre, le temps qui passe, l’amour, les relations mère/fille et fille/mère, les regrets, le temps qui reste…
Au détour de ces réflexions, Mia, à moins que ce ne soit Siri, évoque les regrets :
« Alice Wright, jolie, grandes dents appareillées,  était en train de lire quand j’arrivai et continua paisiblement jusqu’à ce que le cours commence. Lorsqu’elle referma son livre, je vis que c’était Jane Eyre  et je ressentis de l’envie, l’envie des premières découvertes. »
Peut-être est-ce parce que je me souviens très bien de l’élan confusément romantique qui me saisit à 12/13 ans quand je lus ce livre de Brontë, l’un des premiers empruntés à la bibliothèque familiale…cette phrase me touche !

Plus loin, Mia, à moins que ce ne soit ... Siri,précise le rôle de l'écriture et ses interférences avec le temps vécu:

"Rien ne peut plus redevenir comme avant, mais uniquement comme une incarnation ultérieure. Ce qui était autrefois l'avenir est maintenant le passé, mais le passé revient au présent à l'état de souvenir, il est ici et maintenant dans le temps de l'écriture. Une fois encore, je m'écris moi-même ailleurs. Rien n'empêche qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas?"
La toute puissance de l'évocation trans-temporelle de l'écriture!

L'auteur décrit également avec beaucoup de talent les oeuvres brodées d'Abigaïl, résidant à la maison de retraite, oeuvres subversives, au sens caché,et où les délicats points de croix dévoilent derrière les paysages naïfs aux feuillages enchevêtrés, de vilaines petites filles armées de couteaux, ou de voluptueuses naïades à qui sait bien les voir...Tout comme elle décrivait d'ailleurs des oeuvres picturales imaginaires dans son roman "Tout ce que j'aimais", qui m'avait bouleversée. (En ai-je parlé ici?)

Siri HUSTVEDT n’est pas dénuée d’humour, j’ai beaucoup ri en lisant ce roman. Ce n’est pas un livre lourd, ennuyeux, plein de pathos. Non.  Tenez, les pages sur l’orgasme féminin par exemple, sont des petits bijoux ! En voici un extrait :
« En 1559, Colomb découvrit le clitoris (dudcedo amoris)- Realdo Colombo s’entend. Il y fit voile au cours d’un de ses voyages anatomiques, même si Gabriel Fallope lui disputa ce point, affirmant qu’il avait été le premier à voir le petit tertre. Permettez-moi de tracer une analogie entre les deux Colomb explorateurs, Christophe et Realdo. Distantes de moins d’un siècle, leurs découvertes, l’une d’un corps continental, la seconde d’une partie du corps,  pèchent l’une et l’autre par un orgueil familier, celui de la perspective hiérarchique. Dans le cas du nouveau monde, celui qui observe du haut de sa hauteur est un Européen. Dans le cas du clitoris, c’est un homme. »
Nous sommes toutes des Apaches !




samedi 6 juillet 2013

un peu de noir sous le soleil!

La muraille de lave
Arnaldur INDRIDASON


Erlendur n'est pas là. Absent du roman. 15 jours de vacances, d'isolement sur les terres de son enfance. On fera sans lui. 
C'est donc Sigurdur Oli qui mène l'enquête. 
Et elle le conduira au coeur d'une Islande où l'on emprunte pour pouvoir encore plus emprunter, où les banques s'enrichissent et magouillent dans un monde parallèle en plein centre de Reykjavik pour faire  fructifier  des capitaux incertains... 
De meurtres. De trahison. D'abandon. Il sera aussi question. 
Mais il me semble que ce roman interroge avant tout la vengeance. Celle-ci serait-elle plus supportable et donc moins condamnable -excusable en quelque sorte-  lorsque le crime initial est des plus odieux? Lorsque la justice ne fait pas ou mal son travail, alors des comptes se règlent. Mais sont-ils jamais réglés? 

Entre un journal quotidien quotidiennement subtilisé dans la boite aux lettres d'une amie de Gaga, le meurtre d'une libertine, la chute fatale d'un employé de banque, les passages à tabac des petites frappes au sortir du commissariat, et ce semi-clodo sale et seul qui serpente et s'approche de Sigurdur sans se livrer... Sigurdur veille...
L'aile visqueuse de la pédophilie n'est pas loin -comme souvent dans les romans d'Indridason- et aucun masque de cuir finalement ne l'efface....

Les premières lignes:
"Il avait attrapé au fond de son sac en plastique, le masque de confection grossière et imparfaite. Ce n'était pas un chef-d'oeuvre mais il ferait l'affaire."

La dernière ?
"Il avait les yeux mi-clos et le visage levé vers le ciel comme si, à son dernier souffle, il avait fixé les nuages dans l'attente d'une brève éclaircie, d'une trouée bleue et limpide." 
Et Erlendur n'est toujours pas revenu...