lundi 22 juillet 2013

Nous sommes toutes des Apaches!

Bien que le titre évoque leur absence, ce n’est pas un roman sans hommes : il y a Boris, bien sûr, le mari qui trompe sa femme  avec «  Pause » -ainsi nommée par Mia, la femme trompée-, il y a Stefan le beau-frère suicidé secrètement amoureux, il y a Pete, le voisin violent au passé tourmenté, il y a Monsieur Personne, le correspondant inconnu… il y a même Freud,  Kierkegaard, Kant…et d’autres….
(dessin au trait de Suri HUSTVEDT )

Mais c’est un roman de femmes, c’est vrai ! Pour les femmes, c’est vrai aussi. Non pas que les hommes ne pourraient le lire, mais. 
(attention : deuxième degré! … sourire...)

Mia est abandonnée par son mari qui part avec son amoureuse après 30 ans de mariage.
Mia devient folle « psychose passagère », est internée (sic), hors d’elle (re  -sic) au propre comme au figuré. Quelques jours après,  revenant à elle, Mia part en location dans le village où sa vieille mère est pensionnaire de la maison de retraite. Elle va passer un été entre un groupe d’adolescentes qu’elle tente d’initier à l’écriture, un groupe de femmes âgées et néanmoins peu conventionnelles, une voisine fatiguée de sa vie de jeune mère…
Peu à peu elle reprend pied, et s’interroge (NOUS interroge) sur sa vie, la nôtre, le temps qui passe, l’amour, les relations mère/fille et fille/mère, les regrets, le temps qui reste…
Au détour de ces réflexions, Mia, à moins que ce ne soit Siri, évoque les regrets :
« Alice Wright, jolie, grandes dents appareillées,  était en train de lire quand j’arrivai et continua paisiblement jusqu’à ce que le cours commence. Lorsqu’elle referma son livre, je vis que c’était Jane Eyre  et je ressentis de l’envie, l’envie des premières découvertes. »
Peut-être est-ce parce que je me souviens très bien de l’élan confusément romantique qui me saisit à 12/13 ans quand je lus ce livre de Brontë, l’un des premiers empruntés à la bibliothèque familiale…cette phrase me touche !

Plus loin, Mia, à moins que ce ne soit ... Siri,précise le rôle de l'écriture et ses interférences avec le temps vécu:

"Rien ne peut plus redevenir comme avant, mais uniquement comme une incarnation ultérieure. Ce qui était autrefois l'avenir est maintenant le passé, mais le passé revient au présent à l'état de souvenir, il est ici et maintenant dans le temps de l'écriture. Une fois encore, je m'écris moi-même ailleurs. Rien n'empêche qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas?"
La toute puissance de l'évocation trans-temporelle de l'écriture!

L'auteur décrit également avec beaucoup de talent les oeuvres brodées d'Abigaïl, résidant à la maison de retraite, oeuvres subversives, au sens caché,et où les délicats points de croix dévoilent derrière les paysages naïfs aux feuillages enchevêtrés, de vilaines petites filles armées de couteaux, ou de voluptueuses naïades à qui sait bien les voir...Tout comme elle décrivait d'ailleurs des oeuvres picturales imaginaires dans son roman "Tout ce que j'aimais", qui m'avait bouleversée. (En ai-je parlé ici?)

Siri HUSTVEDT n’est pas dénuée d’humour, j’ai beaucoup ri en lisant ce roman. Ce n’est pas un livre lourd, ennuyeux, plein de pathos. Non.  Tenez, les pages sur l’orgasme féminin par exemple, sont des petits bijoux ! En voici un extrait :
« En 1559, Colomb découvrit le clitoris (dudcedo amoris)- Realdo Colombo s’entend. Il y fit voile au cours d’un de ses voyages anatomiques, même si Gabriel Fallope lui disputa ce point, affirmant qu’il avait été le premier à voir le petit tertre. Permettez-moi de tracer une analogie entre les deux Colomb explorateurs, Christophe et Realdo. Distantes de moins d’un siècle, leurs découvertes, l’une d’un corps continental, la seconde d’une partie du corps,  pèchent l’une et l’autre par un orgueil familier, celui de la perspective hiérarchique. Dans le cas du nouveau monde, celui qui observe du haut de sa hauteur est un Européen. Dans le cas du clitoris, c’est un homme. »
Nous sommes toutes des Apaches !




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