jeudi 20 août 2015

la petite amoureuse, un pêcheur de flétan et Vermeer...



Voici un livre de nouvelles néerlandaises écrites dans les années 90 par l'auteur des "Porteurs de glace" roman que j'avais beaucoup aimé lire. 
Ecrivaine et psychanalyste, Anna Enquist vit près d'Amsterdam.

"Où le seigneur se lave les mains" : Un mystérieux organisateur d'after entraîne chez lui, à la fin d'une conférence, une écrivaine amateur de Vermeer. Ils sont à Delft, ville du peintre. Au milieu de la nuit il veut lui montrer un secret  incroyable, jamais dévoilé. L'auteur décrit avec précision ce que ressent la femme au moment où l'homme le lui propose:
"Tout comme on prend un enfant au sérieux, un enfant qui rentre de l'école en courant, essoufflé, bégayant presque, pour vous montrer une chose qui a pour lui un intérêt vital-on reconnaît son sentiment, on épouse son idée qu'il s'agit d'une affaire sérieuse, on se lève aussitôt et on se laisse tirer par la main chaude, impatiente. On ressent peut-être une légère curiosité, on ressent aussi un léger agacement parce que cette urgence vous sort de vos réflexions, de votre lecture; on en hausserait presque les épaules, on voudrait dire quelque chose pour relativiser mais on se retient à cause du fanatisme de l'enfant? On ne veut pas le blesser, mais on a déjà hâte du moment où on va pouvoir se rasseoir, allumer une cigarette, reprendre son livre.Son enthousiasme vous touche mais l'objet de son ardeur n'atteindra pas votre monde. C'est ce que vous croyez."
Elle le suit. L'homme lui dévoile un tableau qu'il a découvert coincé entre deux murs de sa demeure, une toile du maître, Vermeer.
Et le tableau l'engloutit tout entière...
Petit bijou de nouvelle qui nous renvoie à la Jeune Fille à la Perle (Tracy Chevalier) mais aussi au Chardonneret(Donna Tartt).
"La traversée": Trois hommes, dont Jacob, partent sur la glace pêcher le flet à la cognée. Mais sur leur radeau de glace, ils dérivent...
"Le football grec" Sur une île en construction, l'instituteur, philhellène, récemment arrivé organise un match de football qui le conduira à sa perte.
"Faim" : Hanna a 14 ans, elle est amoureuse de Jaak, footballeur amateur. La petite adolescente songe, échaffaude, fantasme, se fait des scenarii. Un dimanche elle le suit dans les vestiaires mais la réalité est très loin de ressembler à ses rêves.

Des nouvelles qui font la part belle aux dérèglements des situations familiales, au basculement dans la folie, au désenchantement, à la perte...

mardi 18 août 2015

Echenoz

"14"
Pas de pathos, pas de dialogues, pas le temps de s'attacher aux personnages, la guerre fait son carnage, Echenoz est sur le fil.
Parfois, la trame du documentaire affleure: les 35kgs du barda, les escouades-compagnies-régiment-d'infanterie, les brigades et matricules, la couleur des pantalons, les reflets des casques et des gamelles...

                                                           photo de Roland Allard

Mais l'écriture...

L'écriture élégante d'Echenoz, sa façon sèche et détournée d'aller à l'essentiel.
Les premières pages sont grandioses: décrire le tocsin qui sonne le début de la guerre avec pour seul repère la vision des cloches qui oblitèrent en cadence les fenêtres des beffrois...bien avant que ne parvienne le bruit, "le son grave, menaçant, lourd" par-delà les champs...
L'image avant le son. Quelle beauté!
Les dernières lignes sont le point d'orgue de ce roman: à cause de la guerre, dans la guerre, après la guerre, les hommes sont détruits et dé-saisis de toute émotion, de tout sentiment humain. Alors ils "s'accouplent" et "ensemencent", "un enfant mâle" naît. Pas un garçon, pas un bébé, un mâle(qui ira faire la guerre suivante?)

Si Bernard Minier (article précédent) scande les meurtres de son roman avec des airs d'opéras, ici Echenoz l'évacue en quelques lignes:
"Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant.Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non  plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles , comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent à la longue, c'est assez ennuyeux."
Subtil Echenoz qui nous laisse en plan avec tout ça, pour élaborer seuls, notre réflexion. Et nous refermons ce livre avec effroi, mais l'air songeur...

lundi 17 août 2015

Complètement allumé!

"N'éteins pas la lumière" de Bernard Minier
Revoilà Servaz! Bien amoché après la mort de Marianne, il récupère dans une maison de repos.
Christine, animatrice radio à Toulouse, voit sa vie tourner au cauchemar : quelqu'un lui en veut, pénètre dans son appartement, s'en prend à son chien... Tout son entourage est soupçonnable: son futur mari, son ex amant, sa stagiaire, celle de Gérald, sa voisine...
Minier nous mène par le bout du nez: on ne voit pas comment Servaz va pouvoir entrer en jeu avant la page 300 et quelques, chaque nouveau personnage est potentiellement l'odieux manipulateur à l'origine de tout ce désastre.
Manipulation, perversité, harcèlement, opéras, exploration spatiale, cowboys de l'espace: voici les ingrédients de ce polar que vous traverserez- comme tous ceux de cet auteur- le souffle court. Rien ne vous sera épargné. Attention : il est complètement allumé!