mercredi 7 août 2013

Vous plongez?

J’ai commencé à lire ce livre dans les Pyrénées à deux pas du lac de Neouviel…
Je l’ai terminé en Espagne. C’est un délice de lire un livre à l’endroit même où se déroule son histoire…On a l’impression d’entendre la voix de son auteur, cette proximité avec les lieux fait qu’à la moindre promenade, on pense croiser Servaz, l’inspecteur solitaire, Margot l’ado rebelle, ou Marianne, le premier amour…Mais même si vous lisez ce roman dans la banlieue nord de Paris à l’ombre d’une tour de dix étages non loin d’un bac à sable rempli de crottes de chats, vous serez transporté dès la première ligne au cœur des Pyrénées et n’aurez de cesse de découvrir qui est l’immonde désaxé qui a ficelé et noyé la prof de Marciac dans sa baignoire, une lampe torche allumée coincée au fond de la gorge…
Car telle est la force de cet écrivain ! Son écriture puissante et précise, ciselée et envoûtante est une vraie machine à explorer, une mécanique implacable qui vous emmène dans les méandres de cette enquête, laissant un Servaz, épuisé, à demi aveugle, alcoolisé et déprimé mais ...
 Vous y êtes ?
Dans ce roman, nous retrouvons les mêmes personnages que dans le précédent « Glacé » deux ans plus tard.(voir article dans ce même blog). L’ombre de Hirtman plane, il est tout près, sortira-t-il du bois ? Tel le loup, il observe à couvert…
Mmm… Je sens que vous accrochez !
Foisonnement d’indices, multitudes de dialogues, abondances de rebondissements… nous sortons de cette lecture rincés, essorés, mais prêts à lire la suite ! Car il y en aura une. Si ! C’est forcé !  N’est-ce pas Monsieur Minier ?...
Page 72 … une phrase qui résume parfaitement cette enquête :
« Ca n’était rien d’autre qu’une faille presque indiscernable entre les troncs et les taillis, et il se contorsionna pour s’y faufiler, mais elle s’enfonçait obstinément dans les ténèbres comme un filon d’argent dans les roches quartziques. »
Une autre pour l’ambiance :
« Comme si le ciel déversait sa bile plutôt que ses larmes, comme si quelqu’un là-haut essorait sur eux une éponge sale, la pluie frappait sans relâche les routes et les bois depuis un ciel qui avait la couleur gris jaunâtre d’un cadavre en décomposition. »
La musique scande cette histoire, Malher (ici prononcez « malheur » !) partagé par le flic et le serial killer, mais aussi Nirvana, Kings of Leon, Marilyn Manson… que ce soit dans les oreilles d’Espérandieu, celles de Margot, ou sur les lecteurs de CD des scènes de crime, elle rythme l’enquête qui se déroule sur une semaine.
La scène de plongée dans le lac de Néouviel…malgré la canicule, m’a donné des frissons ! C’est une scène d’apologie (heu... d'anthologie! merci Hélène, lectrice attentive et bienveillante!), tout y est : la nuit, l’inexpérience de Servaz en matière de plongée, les racines, la boue, les déchets jetés dans le lac, la lampe torche, la respiration qui s’affole, la main qu’on lâche et… non je ne vous dis rien de plus.
Petits veinards, vous avez quelques heures palpitantes devant vous !




Vous prendrez bien une tranche de cake?

Le chagrin entre les fils Tony Hillerman
Le « pick-up » a pour moi, le même pouvoir que le cabriolet décapotable d’Alice Roy à l’époque où je dévorais la bibliothèque verte, il me propulse d’emblée dans le monde de Jim Chee. Les mesas, la police tribale Navajo, les longues routes sinueuses et poussiéreuses…

Dans ce roman ce n’est pas le sergent Jim Chee mais Leaphorn qui mène l’enquête. Ce lonesone cowboy retraité de la police, va démêler les fils de la tapisserie qui retrace la longue marche de 500kms qu’ont du effectuer les 8000 Navajos vaincus par Kit Carson. Au terme de cet éprouvant voyage, ils furent parqués dans une réserve d’où 7000 survivants purent repartir 4 ans plus tard pour regagner leurs territoires. Or voilà que cette tapisserie réapparait dans un magazine de décoration alors qu’elle avait brûlé quelques années auparavant dans un incendie… Cela n’échappe pas à l’œil de lynx de l’ex-lieutenant qui, quelque peu désoeuvré, va en découdre !
L’écriture harmonieuse et douce de Tony Hillerman nous entraine dans ces paysages grandioses que nous arpentons aux côtés du vieux Leaphorn, sans pouvoir lâcher le livre avant que la bobine ne se déroule complètement.

Peut-être aurez-vous alors un peu de mal à déguster une tranche de cake…


Albert Chassaing, ouvrier chez Michelin, vit dans un village Auvergnat avec sa vieille mère, sa femme Suzanne et leur fils cadet Gilles. Leur aîné Henri est en Algérie. Nous sommes en 1961. Le 9 juillet. Le jour où la télévision doit être livrée dans la vieille ferme. Unité de lieu, unité de temps : un drame va se jouer.
Suzanne tente d’introduire un peu de la modernité de l’époque : la cuisine en formica, la machine à laver ; tout en arborant ses mises en plis et tallons aiguilles. Elle a noué un lien particulier avec Henri, qui n’a connu son père qu’à la fin de la guerre de 39. Pendant que Suzanne élevait seule leur enfant, Albert se battait au fort de la ligne Maginot. Il fait partie de ces soldats qui n’ont rien dit de leur guerre, perdue si vite, en proie aux railleries et vite effacés par les souffrances innommables des revenus des camps, et les faits de bravoure des résistants. Et c’est là que le drame prend sa source. Albert est un taiseux, à côté de la vie, à côté de la famille. Le chagrin, la peine, qui éclot en ce jour de juillet, va ouvrir les vannes des larmes, à l’insu de ceux qu’il aime, et va le conduire à se sacrifier pour que l’aîné revienne à Suzanne …
Ce drame se déroule sur une journée, celle où la télé arrive dans la maison avec les premières images de soldats d’Algérie, celle où le facteur prend un bain dans la rivière, celle où Gilles lit « Emilie Grandet » avec l’avidité des grands lecteurs, celle où Suzanne prépare un repas de famille pour sa belle-sœur et son beau-frère communistes et citadins, celle où Albert va se trouvé obligé de faire la toilette à sa mère impotente…
C’est un roman tout en finesse, ancré (encré ?!!!!) dans les années soixante que nous avons peu l’habitude de lire sous cet aspect : l’arrivée du progrès, le silence des anciens soldats, les traces indélébiles des guerres. De toutes les guerres. Car elles sont toutes immondes, surtout celles qui sont tues.

La nouvelle qui suit « L’imaginot ou essai sur un rêve en béton armé » poursuit en quelque sorte le roman puisque nous y retrouvons Gilles, et apporte des précisions sur ce qu’était ce fort Maginot méconnu et pour cause…