Ce livre n'est pas un livre récent.
Ce n'est pas un livre Goncourable.
Ce n'est pas seulement un livre.
C'est un livre essentiel.
Plus qu'un témoignage, il est admirablement écrit:
« Nous
avons lutté de toutes nos forces pour empêcher l'hiver de venir.
Nous nous sommes agrippés à toutes les heures tièdes ; à
chaque crépuscule nous avons cherché à retenir encore un peu le
soleil dans le ciel, mais tout a été inutile. Hier soir, le soleil
s'est irrévocablement couché dans un enchevêtrement de brouillard
sale, de cheminées d'usines et de fils ; et ce matin c'est
l'hiver. »
Dans
sa préface, Primo Levi précise :
« Aussi, en fait de
détails atroces, mon livre n'ajoutera-t-il rien à ce que les
lecteurs du monde entier savent déjà sur l'inquiétante question
des camps d'extermination. Je ne l'ai pas écrit dans le but
d'avancer de nouveaux chefs d'accusation, mais plutôt pour fournir
des documents à une étude dépassionnée de certains
aspects de l'âme humaine. »
Je
ne peux pas parler de ce livre, il
faut le lire c'est tout.
Il faut le lire et c'est une nécessité parce que nous vivons des temps oublieux...
...les
migrants actuels, peuples d'infortunes lancés dans des voyages
improbables, voués à l'exil, les tentes boueuses de Calais, les
enfants échevelés, assoiffés et hagards dans les bras de leurs
parents marcheurs ...nous les voyons.
Tout
de même cette phrase de Primo Levi écrite en 1947 :
« On
s'accorde en effet à reconnaître qu'un pays est d'autant plus
évolué que les lois qui empêchent le misérable d'être trop
misérable et le puissant trop puissant y sont plus sages et plus
efficaces. »
Comme
nous en sommes loin !
Et
puis ce poème :
Si
c'est un homme
Vous
qui vivez en toute quiétude
Bien
au chaud dans vos maisons,
Vous
qui trouvez le soir en rentrant
La
table mise et des visages amis,
Considérez
si c'est un homme
Que
celui qui peine dans la boue,
Qui
ne connaît pas de repos,
Qui
se bat pour un quignon de pain,
Qui
meurt pour un oui pour un non.
Considérez
si c'est une femme
Que
celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et
jusqu'à la force de se souvenir,
Les
yeux vides et le sein froid
Comme
une grenouille en hiver.
N'oubliez
pas que cela fut,
Non,
ne l'oubliez pas :
Gravez
ces mots dans votre coeur.
Penses-y
chez vous, dans la rue,
En
vous couchant, en vous levant ;
Répétez-le
à vos enfants.
Ou
que votre maison s'écroule,
Que
la maladie vous accable,
Que
vos enfants se détournent de vous.
Primo
LEVI, 1947...il y a 68 ans.