vendredi 30 octobre 2015

Si c'est un homme, Primo LEVI

Ce livre n'est pas un livre récent. 

Ce n'est pas un livre Goncourable. 

Ce n'est pas seulement un livre.

C'est un livre essentiel.

 

Plus qu'un témoignage, il est admirablement écrit:

 

« Nous avons lutté de toutes nos forces pour empêcher l'hiver de venir. Nous nous sommes agrippés à toutes les heures tièdes ; à chaque crépuscule nous avons cherché à retenir encore un peu le soleil dans le ciel, mais tout a été inutile. Hier soir, le soleil s'est irrévocablement couché dans un enchevêtrement de brouillard sale, de cheminées d'usines et de fils ; et ce matin c'est l'hiver. »


Dans sa préface, Primo Levi précise :


« Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n'ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l'inquiétante question des camps d'extermination. Je ne l'ai pas écrit dans le but d'avancer de nouveaux chefs d'accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine. »


Je ne peux pas parler de ce livre, il faut le lire c'est tout.

Il faut le lire et c'est une nécessité parce que nous vivons des temps oublieux...

...les migrants actuels, peuples d'infortunes lancés dans des voyages improbables, voués à l'exil, les tentes boueuses de Calais, les enfants échevelés, assoiffés et hagards dans les bras de leurs parents marcheurs ...nous les voyons.

Tout de même cette phrase de Primo Levi écrite en 1947 :

« On s'accorde en effet à reconnaître qu'un pays est d'autant plus évolué que les lois qui empêchent le misérable d'être trop misérable et le puissant trop puissant y sont plus sages et plus efficaces. »

Comme nous en sommes loin !


Et puis ce poème :


Si c'est un homme


Vous qui vivez en toute quiétude

Bien au chaud dans vos maisons,

Vous qui trouvez le soir en rentrant

La table mise et des visages amis,

Considérez si c'est un homme

Que celui qui peine dans la boue,

Qui ne connaît pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain,

Qui meurt pour un oui pour un non.

Considérez si c'est une femme

Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu'à la force de se souvenir,

Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.

N'oubliez pas que cela fut,

Non, ne l'oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre coeur.

Penses-y chez vous, dans la rue,

En vous couchant, en vous levant ;

Répétez-le à vos enfants.

Ou que votre maison s'écroule,

Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.

Primo LEVI, 1947...il y a 68 ans.