...le choléra non plus…
Les sciences, la recherche m’intriguent…mais ne me passionnent pas.
A part la lecture des notices de médicaments paragraphe effets secondaires et celle du journal des étudiants en médecine, je ne lis rien qui s'apparente à la "science".
Mais ce livre de Patrick Deville m’a emportée loin, loin,
dans le temps et dans l’espace.
Alexandre Yersin : chercheur, médecin de bord, explorateur,
voyageur, constructeur, cultivateur d’hevea,de l’arbre à quinquina, maraîcher,observateur de marées, astronome, expérimentateur
de xographe, découvreur du bacille de la peste…
Patrick Deville, en fantôme du
futur, ne le perd pas de vue, il le suit, le précède, lit les lettres envoyées
à sa mère puis à sa sœur, et nous livre ce somptueux roman.
« On déroule souvent l’histoire des sciences comme un boulevard qui mènerait droit de l’ignorance à la vérité mais c’est faux. C’est un lacis de voies sans issue où la pensée se fourvoie et s’empêtre. »p.147
L’écriture est à la fois poétique, incisive et pleine d’humour :
« En vieil épidémiologiste, Yersin n’oublie pas que le pire est toujours le plus sûr.Vieillir est très dangereux. » p.72
Ce grand voyageur ne croisera pas la route de Raimbaud mais le poète est évoqué à de multiples
reprises. Le départ d’Arthur et celui d’Alexandre... La longévité de l’un dans sa
maison carrée de Nha Trang, la brièveté de celle du vendeur d'armes rongé par la gangrène... On
se prend à songer qu’ils se soient croisés…
« La vue est circulaire au-dessus de l’éblouissement continu de la beauté, les barques de pêche, qui le soir descendent la rivière et allument leur lamparos au bout des perches, gagnant le large. A l’aube le vent les ramène. On débarque sur la plage poissons, crevettes, près des nouveaux sampans. Le parfum s fleurs et l’odeur de la terre après l’averse montent vers le bureau où Yersin dessine maintenant des maisons pour les vétérinaires et les laborantins, murs chaulés et boiseries peintes en vert clair, toiles de tuiles brunes et vérandas, dans le style de ces villas balnéaires normandes qu’il vit à Cabourg.[…] Assis à son bureau dans un fauteuil en rotin, devant les revues scientifiques, Yersin étudie la physique, la mécanique, l’électricité. »p.136
A Nha Trang a-t-il eu vent de cette femme Donnadieu qui luttait contre le Pacifique pour replanter
son riz ? A-t-il croisé le souffreteux Marcel à Cabourg ?...
La littérature ne semblait pas l’intéresser. Ni l’amour.
L’amitié oui.
« Mais au bout du compte, qu’on ait ou pas le vaccin antipesteux, on sait bien qu’on ne trouvera jamais le vaccin contre la mort des amis et que tout cela est un peu vain. On pourrait croire à une réussite exemplaire. Mais peut-être pas. Les cloisons de sa raison depuis l’enfance sont étanches à la passion. Acier inoxydable. Jamais le cœur du réacteur ne franchira l’enceinte de confinement, sinon à la moindre fêlure ce serait la catastrophe, l’explosion, l’anéantissement, la dépression, la mélancolie ou pire encore les foutaises de la littérature et de la peinture, alors les lubies scientifiques, la pression telle sur la soupape que la pensée à jet sporadique dans son mouvement rotatif projette à tout- va, invente dans tous les domaines. »
Ainsi Yersin ne rencontra ni Marguerite, ni Arthur, mais
inventa une sorte de poésie frénétique
de la quête…
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